Le tazieh est un mot d'origine arabe qui signifie « témoignage de condoléances » et qui correspond dans le chiisme au jour anniversaire de la mort de Hussein.
Le tazieh désigne en Iran une cérémonie religieuse populaire célébrée sous forme de pièce de théâtre, avec dialogues chantés et déclamés. Le tazieh existe ailleurs qu'en Iran : on a relevé des manifestations analogues dans le village chiite de Nabawiya au Liban, ainsi qu'en Inde, où vivent quelque dix millions de chiites.
Le tazieh est une passion (au sens de la Passion du Christ) qui a pour sujet le martyre de saints personnages et le deuil déchirant que ce martyre entraîne. Il se joue à travers un important répertoire de plus de deux cents sujets, transmis à travers les siècles par des auteurs anonymes. La plupart de ces passions présentent l'histoire d'un des membres de la descendance d'Ali. Le tazieh s'incarne plus particulièrement dans le martyre de Hussein.
A travers ce martyre se commémore un événement historique : le massacre de Karbala en 680, organisé par les troupes du calife omeyyade de Damas, qui conduira à la mort de Hussein et de ses partisans. Mais si, dans sa très grande majorité, le tazieh relève de l'art dramatique, il existe aussi des taziehs comédies.
La fonction du tazieh est triple : éducation, transmission, célébration. Il assure un des pôles de l'éducation religieuse : il est vu et connu par tous les Iraniens, dès l'enfance, au sein du cadre familial et scolaire. Sous contrôle du pouvoir religieux, il est une des cautions de l'orthodoxie chiite.
Si le tazieh est bien un art du chiisme, il existait avant l'islam : on jouait déjà à l'époque préislamique des pièces racontant l'histoire de Siyavush, un héros légendaire de la haute antiquité iranienne, qui porte le nom de Siyavarshan dans l'Avesta, le livre saint des zoroastriens (la religion de la Perse ancienne). Le contexte et les conditions de la mort tragique de ce prince iranien assassiné à la suite d'un infâme complot, firent de lui un martyr et entraînèrent un deuil déchirant.
Cette légende est racontée par Ferdowsi (940-1020) dans son Shahnameh, un monumental Livre des Rois. Ce conservatoire de la mémoire iranienne n'est pas le premier ouvrage de ce genre, mais c'est le plus achevé. Ferdowsi, relatant cette légende, décrit le peuple iranien vêtu de noir, portant le deuil de Siyavush. La tradition du deuil déchirant, le goût pour les scènes épiques relatées sous forme de narration, bien présents dans le Shahnameh, se perpétuent à l'époque chiite dans le tazieh.
Le tazieh assume également la fonction de transmission de la mémoire collective du peuple iranien. Aujourd'hui encore, ce peuple vêtu de noir porte toujours, sans en avoir conscience, le deuil de l'imam Hussein. Il participe de l'éloge des imams : à l'avènement du chiisme iranien, les mollahs ont fait de l'imam Hussein l'incarnation du pays.
En sa qualité d'héritier spirituel de ce dernier, chaque imam chiite iranien bénéficie implicitement des retombées de sa considération. A travers les siècles, cet événement historique devient sujet de célébration, puis a évolué vers la commémoration, puis vers la représentation de drames sacrés. C'est probablement durant les années qui suivirent la mort de Hussein, soit dès la fin du VIIe siècle, que les célébrations de son martyre ont commencé. Au XIIe siècle, lorsque le pouvoir des Seldjoukides, musulmans sunnites qui envahissent l'Iran en 1037, s'affaiblit, des célébrations ont lieu au sein des assemblées, lors desquelles des récitants rappellent les souffrances et les vertus des gens de la maison d'Ali.
Mais c'est surtout à partir de 1501, avec l'avènement de la dynastie séfévide (1501-1722), que ces célébrations s'amplifient. Quand les Séfévides accèdent au pouvoir, ils cherchent en effet à se démarquer des Ottomans sunnites, qu'ils combattent militairement, et des Turcs timourides auxquels ils succèdent, en officialisant le chiisme comme religion d'Etat, et en favorisant ces commémorations. Dans le même temps paraît Le Jardin des Martyrs, de Vaez Kashefi.
La diffusion de cet ouvrage va être appuyée et utilisée par les mollahs, et progressivement, les récitations s'accompagnent de débordements de larmes et de cris. Se forment alors dans les rues des cortèges avec déploiement d'étendards funéraires et de chars, où sont exhibés le cénotaphe de Hussein, son cheval percé de flèches ...
L'expression de la douleur devient publique et ostentatoire, à travers des processions de pénitents, revêtus de linceuls, de flagellants qui se frappent avec des chaînes, d'autres à coups de sabre... Désormais, nul, en Iran, ne peut ni ne doit plus ignorer ce qui s'est passé dans la plaine de Karbala.
Au début du XIXe siècle, à l'époque Qadjar, ces commémorations font place à des représentations de drames sacrés. C'est durant cette période que le tazieh atteint son apogée. Des débats passionnés opposent les théologiens chiites iraniens. Parmi eux, Mirza Aboul Kassem ibn Hassan Gilani, mort en 1815, un des plus grands théologiens chiites, a rendu une fatwa sans appel, se référant au hadith selon lequel « quiconque pleure pour Hussein ou fait pleurer pour Hussein entrera de droit au Paradis ».
Ce théologien décréta : « Nous disons qu'il n'y a pas de raison d'interdire la représentation des Innocents et des êtres aux âmes pures, et l'excellence des pleurs, de provoquer les pleurs et de prétendre pleurer pour le Seigneur des Martyrs, et ses partisans le prouvent... »
Le tazieh se joue toute l'année, mais le tazieh de Hussein a principalement lieu pendant le mois de Muharram, le premier mois du calendrier islamique, et plus particulièrement à l'Achoura, le dixième jour de ce mois. Chaque année il est présenté, dans des centaines de villages iraniens et dans les grandes villes, par des troupes d'acteurs qui rejouent les événements de ces journées décisives du mois de Muharram.
La tragédie de Karbala est une véritable leçon d'histoire vivante, dotée de grandes mises en scène qui visent à exalter la douleur. Elle se résume ainsi : Hussein espère entrer dans la ville de Koufa, ville qui sera plus tard considérée comme le centre de l'opposition à l'Etat omeyyade, connue pour sa fidélité à Ali depuis qu'il y a été assassiné en 661. A la suite d'une révolte, les habitants encouragent Hussein à en
prendre la tête et se battre contre le calife pour imposer les droits de la maison d'Ali au pouvoir.
Hussein quitte l'Arabie, où il s'est réfugié après avoir refusé de prêter allégeance à Yazid, mais les troupes califales contrôlent les routes du Hedjaz. Hussein et ses hommes se heurtent aux troupes de Yazid dans la plaine de Karbala, située au sud-ouest de Bagdad. Hussein arrive dans la plaine de Karbala avec sa troupe de soixante-douze partisans, composée essentiellement de sa famille et quelques fidèles. Ils errent dans le désert pendant dix jours, encerclés par une armée de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, qui empêchent Hussein et ses partisans d'aller chercher de l'eau dans l'Euphrate pourtant proche.
Beaucoup mourront de soif avant de périr sous les flèches de l'ennemi. Le point culminant du drame est la mort tragique de Hussein, le dixième jour, lorsqu'il se retrouve face à Shimr, le général de l'année ennemie, qui, à la fin d'un long duel, le tue devant ses femmes et enfants.
A partir des Séfévides, la tragédie de Karbala se joue en dix taziehs, qui se déroulent en dix jours, dont les plus importants sont ceux qui commémorent les deux derniers jours. Tous les taziehs sont construits de manière à faire monter jour après jour la tension émotive, les événements qui se succèdent sont toujours plus tragiques que ceux des jours précédents.
Le tazieh du neuvième jour est réservé à Abbas Aboul Fazel. Il est le jeune frère de Hussein, en fait son demi-frère, car Aboul Fazel est le fils de la deuxième épouse d'Ali. Il veut aller chercher de l'eau dans l'Euphrate qui n'est pas loin, mais inaccessible car le camp est cerné. C'est alors qu'il est pris par les soldats de Yazid qui lui coupent les deux bras. Il retourne au camp, rapportant un seau d'eau qu'il tient entre ses dents.
Le tazieh du dixième jour se dit en persan Haftadodotan : Haftad signifiant soixante-dix, tan voulant dire deux, soit le tazieh des soixante-douze. En arabe, c'est l'Achoura, le jour de la tragique mort de l'imam Hussein, et de tous ceux qui sont encore vivants. On y retrouve tous les événements dramatiques des derniers jours, tous les personnages qui ont joué un rôle important, même s'ils sont déjà morts. Car dans chaque tazieh se joue un peu de chaque épisode de chaque jour, plus un moment privilégié centré sur un protagoniste.
Ce jour de l'Achoura, le camp est attaqué, pillé, incendié par l'armée du calife. Les femmes et les enfants qui ont survécu au massacre sont capturés, dont Ali Zayn al-Abidin, fils de Hussein, qui sera le quatrième imam des chiites. Tous les hommes sont tués, leurs corps décapités sont abandonnés sans sépulture.
Le cycle de l'Achoura se clôt ainsi, mais il existe des taziehs représentant les jours suivants, celui du onzième jour, lorsque la famille de Hussein est conduite captive dans le palais de Yazid ; celui du douzième jour, lorsque les soldats quittent le camp avec les têtes piquées sur leurs lances.
En brodant sur le thème du massacre de Karbala, de nombreuses pièces ont été écrites, construites chacune autour d'un épisode particulier du cycle de l'Achoura, ou de l'histoire de l'un des membres de la famille des descendants du Prophète, d'Ali, ou des partisans. Ainsi, il existe le tazieh du martyre de Moslem, un compagnon de Hussein ; celui des enfants de Moslem ; d'Ali Akbar, le fils aîné de Hussein; celui de Kassem, le fils de son frère Hassan ; des enfants de Zeinab, soeur de Hussein.
Pour faire le rapprochement avec le monde chrétien médiéval, on peut penser aux nombreux mystères (du latin misterium, cérémonie) qui rejouaient la vie des apôtres ou les événements les plus dramatiques de la Semaine sainte : la Trahison de Judas, le Reniement de Pierre, la Dernière Cène, la Crucifixion, la Mise au tombeau, etc.
Les taziehs sont profondément tragiques, mais leurs personnages, même s'ils sont les héros de l'islam, des guerriers valeureux, restent tout autant des hommes qui souffrent de la faim et de la soif, de chagrin, du sentiment d'injustice. Hussein, qui est plus qu'un héros religieux, car il est la personnification du martyre, du sacrifice, de la pureté et de la justice, lui qui est l'imam, issu de la chair et du sang du Prophète, est tout autant un père qui pleure la mort de son fils Ali Akbar... Le sentiment d'injustice n'en est que fortifié.
Le tazieh porte en lui trois valeurs : artistique, psychologique, politique. La valeur artistique du tazieh se révèle à travers son évolution qui, partant d'une simple commémoration religieuse, est convertie en un véritable art du spectacle, que l'on dote d'une importante mise en scène. A partir d'un événement historique relativement simple, mais fondamental dans l'histoire du chiisme, les auteurs ont monté des pièces riches de détails particulièrement évocateurs, destinées à une meilleure compréhension du spectacle.
Tous les spectateurs iraniens, depuis leur enfance, connaissent par coeur tous les détails du drame de Karbala, mais le déroulement et la rapidité avec laquelle s'enchaînent les événements sur la scène, risqueraient de les déconcerter. Le tazieh va adopter de nombreux codes destinés à permettre aux auditeurs de s'y retrouver, comme un code vestimentaire : les « bons », ceux de la famille et des partisans de Hussein, sont habillés de vert ; leurs textes ne sont pas déclamés, mais chantés d'une voix douce sur des modes de musique traditionnelle ; alors que les « mauvais », les partisans de Yazid, sont vêtus de rouge, la couleur du martyre, ce sont eux qui versent le sang ; leurs monologues ne sont pas chantés, mais déclamés avec affectation, d'une voix rauque, d'un ton irrité...
Un code d'expression gestuelle : un tour sur soi-même pour signifier que l'action a changé d'endroit, un tour de scène ou plusieurs pour indiquer que de longues distances ont été franchies ; les bons combattants se battent de face, les mauvais se regroupent pour les frapper de dos ; de grandes claques sur la cuisse pour manifester la stupéfaction ou la colère. Dans les taziehs primitifs, les éléments relatifs aux lieux ont été matérialisés par des objets : une fontaine représentant l'Euphrate, une botte de foin une prairie...
C'est probablement à la fin du XVIIe siècle que les processions, qui pouvaient durer cinq heures, vont donner naissance à une véritable dramaturgie, dotée d'un sens de la mise en scène. Sous le règne des Qadjars (l794-1925), le tazieh a atteint son âge d'or : on peut dès lors parler d'un authentique art dramatique, qui émerveillera les diplomates et les grands voyageurs occidentaux. Vers 1840, le diplomate polonais Alexandre Chodzko écrit : « Les pompes du grand Opéra de Paris, qui font l'admiration des Parisiens, paraîtront autant de guenilles au beau monde de Téhéran. »
Comment mieux expier ses fautes qu'en participant à la représentation des souffrances de l'imam Hussein à Karbala ? Pour les chiites, cette tragédie incarne bien plus qu'une lutte pour le pouvoir. Ce qui se joue à Karbala, c'est l'affrontement du bien et du mal ; on retrouve ici le fondement de la doctrine zoroastrienne, ancienne religion de la Perse, l'histoire éternelle de la lutte des opprimés contre leurs oppresseurs, le juste droit à la révolte contre l'injustice et la souffrance.
Les spectateurs participent au martyre de Hussein par des sanglots, des pleurs, des cris, des actes de flagellation, des actes de dévotion comme ceux de ramasser la poussière tombée de l'épée qui a tué Hussein, ou de toucher le récipient contenant l'eau de l'Euphrate qu'a porté un martyr.
Le tazieh est aussi un exutoire à des superstitions plus primitives, car l'implication n'est pas exclusivement d'ordre financier, elle peut aussi engager directement la personne. L'engagement de jouer est fréquemment le fruit d'une offrande surérogatoire : le remerciement d'un voeu exaucé. Très souvent, il s'agit d'hommes qui, après de longues années de mariage, ne sont toujours pas parvenus à la paternité, ou bien d'autres qui souffrent d'infirmité, de maladie.
Alors, le jour de l'Achoura, ils font un voeu... si celui-ci est exaucé, certains assurent une partie du financement, d'autres s'engagent à jouer le tazieh. Plus le rôle est important, plus l'implication a de valeur : durant des années, un de ces hommes ne joua que le rôle de Shimr.
Il n'y a pas d'acteurs professionnels qui participent au tazieh, car avant d'être du théâtre, il est une cérémonie religieuse, une célébration. Si le tazieh a adopté du théâtre un cadre architectural, une mise en scène, il n'y a ni actes, ni scènes, ni entracte, ni applaudissements. La différence fondamentale avec le théâtre, c'est qu'il n'y a pas d'identification, de projection, car les acteurs ne prétendent pas, comme on le conçoit en Occident, être les personnages qu'ils incarnent. Les acteurs du tazieh sont porteurs de signes, ils représentent dans le sens étymologique du mot, ils rendent présents leurs référents.
Très tôt, les chiites ont organisé des cérémonies pour célébrer la tragédie de Karbala. Au XVIIe siècle, la commémoration du martyre de Hussein est un des arguments du chiisme face aux sunnites.
L'exploitation politique du tazieh se note particulièrement à trois moments charnières de l'histoire de l'Iran. Il n'existe pas de documents historiques attestant précisément du nombre de jours, ni des événements des journées qui précèdent la mort de Hussein tels qu'ils sont racontés dans le cycle de l'Achoura. Afin de dramatiser les circonstances du massacre de Karbala et de renforcer l'injustice de la mort de l'imam Hussein, les mollahs ont créé les neuf jours qui ont précédé l'Achoura, ils ont inventé des personnages, comme les deux fils de Hor, et des faits, comme la lettre envoyée par Yazid à Hussein.
Après l'arrivée au pouvoir des Séfévides en 1501, le chiisme est imposé comme religion officielle de l'Empire, et c'est alors que les cérémonies du mois de Muharram prennent une nouvelle ampleur. Pour les Séfévides, l'objectif est évident : utiliser à des fins politiques l'émotivité populaire en appelant les chiites à venger le sang de l'imam Hussein, et à se regrouper derrière leur Chah, étendard du chiisme face aux Ottomans sunnites.
Au sein de l'empire séfévide, une partie de la population ne s'est pas convertie au chiisme, et lors des processions, cette communauté sunnite manifeste son opposition. Des affrontements sanglants ont lieu : les partisans des deux camps se livrent à des simulacres de batailles, durant lesquels des gens meurent, faisant revivre, peut-être à leur insu, la bataille de Karbala. Pietro Della Valle, qui assiste à ces événements, écrira quelques années plus tard : « Les gens croient que si quelqu'un meurt pendant ces journées au cours d'un combat, il ira droit au ciel. »
Lors de la révolution constitutionnaliste de 1905-1911, la commémoration sert aux oulémas à propager les idées d'opposition face aux Qadjars. Enfin, lors de l'agitation socio-religieuse qui connaît son paroxysme en 1978-1979, les thèmes de la commémoration servent cette fois aux opposants du régime Pahlavi.
Entre 1935 et les années 1960, le tazieh est interdit. Avec l'arrivée au pouvoir de Reza Chah Pahlavi en 1925, le fondateur de la dynastie Pahlavi, l'Iran accélère sa modernisation par la création d'universités, l'amélioration du système éducatif, l'industrialisation.
Le Chah bouleverse l'ordre social établi en accélérant les réformes et en essayant d'imposer la modernité occidentale en Iran, allant jusqu'à l'interdiction du port du voile pour les femmes et l'obligation pour les hommes de se vêtir à l'européenne... Le tazieh perd alors le patronage officiel de la Cour dont il bénéficiait sous les Qadjars : ce souverain autoritaire ne pouvait que se défier d'un rituel religieux qui glorifiait la lutte contre l'oppression et la tyrannie...
Le tazieh est purement et simplement interdit vers 1935. Pourtant, il continue à se jouer, émigrant alors dans les campagnes, où les villageois font le guet pendant les représentations, ou bien se déroulant la nuit. Un témoin de ces années raconte : « Les gendarmes faisaient des descentes dans les villages et déchiraient les vêtements des acteurs. »
Au début du règne de Mohammed Reza Chah, le dernier chah d'Iran (1941-1979), il est toujours interdit. Puis, durant les années où s'amorcent la « Révolution blanche » et la série de réformes agraires par distribution des terres, au début des années 1960, le tazieh est à nouveau toléré. Peut-être dans le but de ménager le clergé chiite, mécontent à la suite de cette révolution qui lui a enlevé la plupart de ses pouvoirs traditionnels et a diminué son influence dans le milieu rural.
Le tazieh va être redécouvert par les responsables du festival de Chiraz, qui organisent des représentations officielles juste avant la Révolution islamique de 1979. Durant les années 1960, le cinéaste et historien Farrokh Ghaffary, parmi d'autres, va travailler à le faire revivre.
Ghaffary, directeur adjoint de la télévision pour la culture et directeur du Festival des arts de Chiraz, prend conscience que ce théâtre populaire est en voie de disparition. Le tazieh fait alors son apparition à la télévision, puis au festival de Chiraz, où il est découvert par des metteurs en scène d'avant-garde comme Peter Brook ou Jerzy Grotowski.
Arrivé au pouvoir en 1979, le nouveau régime montre plus que de la défiance face au tazieh, s'interrogeant sur la valeur orthodoxe de ces représentations. Les mollahs songent à l'interdire, prenant prétexte de ce que l'impératrice Farah Diba avait été marraine du festival de Chiraz. Probablement, comme tout pouvoir, se méfient-ils, en réalité, des regroupements populaires difficilement contrôlables.
Finalement, le tazieh est officiellement toléré, et encore une fois utilisé comme instrument de pouvoir servant à consolider la foi des gens simples. En 1991, le tazieh se produit sur scène au festival d'Avignon ; en 2005, à Paris, sur les écrans lors d'un festival à la Cinémathèque du Trocadéro, et très récemment, en juin 2006, au 24e Festival international de théâtre de Fribourg. A cette occasion, un cinéaste iranien a présenté, hors compétition, son dernier documentaire qui s'intitulait A Look ta Tazieh.
Tazieh au festival d'Avignon, 1991
Aujourd'hui, le tazieh a perdu de son éclat d'antan. Sa rigueur, qui se traduit par une mise en scène sommaire, des costumes, des accessoires et des décors minimalistes - banderoles citant le Coran, drapeaux -, ne favorise ni sa modernisation ni sa diffusion.
Nombreux sont ceux qui s'interrogent : le tazieh doit-il se renouveler, aller vers une modernisation, s'actualiser, pour accroître son public, ou bien se protéger pour garder sa pureté, au risque d'être relégué au rang de tradition folklorique ?
Mais ceux qui posent la question en termes de modernité ou de tradition semblent faire abstraction du rôle fondamental, originel et intrinsèque du tazieh : alimenter la mémoire du peuple chiite iranien dans le but d'affermir sa foi.
Aujourd'hui, si le tazieh se joue encore dans tout l'Iran, dans chaque grande ville, et dans tous les villages, autour d'Ispahan, de Tabriz, de Yazd, il est contrôlé par les mollahs, qui détiennent le pouvoir d'autoriser ou non les metteurs en scène et les acteurs à le représenter. Les compétences de ces derniers ne sont reconnues que s'ils affichent une conduite de bons chiites, c'est-à-dire s'ils participent à la grande prière collective du vendredi, s'ils ne tiennent pas de propos considérés comme une atteinte au chiisme.
Ceux qui, depuis la révolution chiite jusqu'aujourd'hui, n'entraient pas dans le moule, se sont exilés.